dimanche 1 avril 2018

Les mots cavalent pour la jeunesse


 « Qu’on lise ou qu’on écrive avec les mots on est toujours en voyage ». C’est pour cette raison que Martine Bourdy a choisi la très jolie expression   « Les mots en cavale » pour baptiser la librairie papeterie qu’elle a reprise en 2009 dans le cœur historique de  Rumilly en Haute -Savoie. Au départ c’était surtout une enseigne de papeterie, puis les livres se sont imposés d’eux-mêmes, plus particulièrement ceux destinés à la jeunesse.  Nadine Arnaud, libraire l’a rejointe et c’est ainsi qu’elles conjuguent toutes deux leurs talents entre lecture et arts de l’écriture.  Voici leurs précieux conseils de lecture pour les plus jeunes.

Quel roman nous recommandez-vous ?
Une fable puissante pour adolescents : « Nouvelle Sparte » d’Erik L’Homme  (Gallimard). Deux siècles après le rayonnement de la cité antique, sa fascination et sa domination restent intactes en dépit des bouleversements du monde moderne en proie à la pollution et aux attaques terroristes.  Un roman d’aventures qui renoue avec les mythes antiques. Un texte très poignant.

Et du côté des auteurs étrangers, que nous conseillez-vous ?
« Morwenna » de Jo Walton. (Denoël Lune d’encre) Suite à la disparition de sa sœur jumelle dans un terrible accident qui l’a laissée elle même handicapée, une jeune fille galloise se retrouve dans un pensionnat où elle va explorer le pouvoir bénéfique des livres de science-fiction.  Avec ce roman d’apprentissage, on redécouvre toute la crème des auteurs de SF des années 70.  Un régal. Ce livre a été couronné du Prestigieux Prix Hugo.

Y –a-t-il un premier roman qui vous a particulièrement plu ?
« Les Doldrums » de Nicholas Gannon (Pocket Jeunesse)  L’histoire d’un jeune garçon bridé par  sa mère qui ne veut pas qu’il soit un doux rêveur. Il habite chez ses grands-parents explorateurs qui vivent comme dans un muséum d’histoire naturelle.  Quand ces derniers disparaissent, il s’émancipe et part à leur recherche.

Quel est le livre le plus emblématique de la librairie que vous défendez avec ferveur ?
« Tobie Lolness » de Timothée de Fombelle (Gallimard jeunesse). À lire à partir de dix ans. Une très belle fable allégorique sur notre société,  ses dérives et sur l’engagement écologique que chacun devrait avoir. Un roman qui agit sur nos esprits pour une réelle prise de conscience des enjeux du monde dans lequel on vit, le tout porté par un très bel imaginaire et une écriture magnifique.

Quel roman vous êtes-vous promis de lire ?
 « Miss Peregrin et les enfants particuliers » de Ransom Riggs (Bayard Jeunesse) . Le film  qu’en a adapté  Tim Burton est épatant,  du coup le livre est en haut de la pile.  

Une brève de librairie

« Bonjour, je cherche un livre, mais je n’ai pas le titre, pas le nom de l’auteur, je crois que la couverture est bleue »

Librairie Les mots en cavale
9, rue Charles de Gaulles
74150 Rumilly
04.50.01.49.81

Une librairie royale



Bien que le jeu de mots entre le Roi Lear  et le verbe lire semble évident, la puissance de l’œuvre de Shakespeare fait que bien souvent les courriers à la librairie arrivent avec l’orthographe de la pièce du célèbre dramaturge anglais. « Ici ce qui compte c’est le goût des autres », voilà ce que nous déclare Gilles Bérat quand nous l’interrogeons sur son métier de libraire. Pour lui les fiches de lectures sur les livres n’ont pas vraiment de sens puisqu’il faut comprendre avant tout qui on a en face de soi pour délivrer le conseil de lecture le plus personnalisé possible. Cet ancien financier devenu libraire a effectué « une reconversion heureuse » selon ses termes en reprenant en 2002 à Sceaux en Ile de France cette enseigne créée il y a trente ans. Rencontre avec un libraire qui met autant de cœur que de chaleur a faire son métier.  

Quel roman nous recommandez-vous de lire ?
« La fonte des glaces »  de Joël Baqué (P.O.L). Pour nous c’est un Boris Vian contemporain avec à la fois une imagination galopante,  beaucoup  d’humour. Et puis ce roman vous emporte loin en Antarctique et dans le grand Nord.

Et du côté des auteurs étrangers que nous conseillez-vous ?
Sans hésiter le dernier roman de l’immense écrivain israélien hélas disparu en janvier dernier Aharon Appelfeld « Des jours d’une stupéfiante clarté »  (Éditions de l’Olivier).  On avait aimé son précédent roman « Les partisans »  et celui-là on l’aime encore plus.

Y –a-t-il un premier roman qui vous a particulièrement marqué ?
Pour nous cela n’a aucune importance que cela soit un premier roman ou pas. Nous ne faisons pas ce type de classification.

Quel est le livre le plus emblématique de la librairie que vous recommandez avec ferveur ?
Toute l’œuvre de Ludmila Ouliskaïa mais pour n’en citer qu’un « Le chapiteau vert » (Gallimard du monde entier). C’est une vaste fresque autour de trois amis au cœur de la tragédie soviétique  après la mort de Staline.  Mais aussi « Americanah » de Chimamanda Ngozi Adichie (Gallimard du monde entier) un roman sur l’immigration, comment rester soi-même quand on change de continent. Un livre que l’on conseille et que les gens rachètent pour l’offrir.

Vous êtes très attaché aux Sciences Humaines,  que souhaitez-vous nous faire découvrir dans ce domaine ? « Parcours I (1971—1989)  Sociologie et théorie du langage. Pensée postmétaphysique »  et « Parcours II (1990-2017. Théorie de la rationalité. Théorie du langage » de Jürgen Habermas  (Gallimard, NRF Essais). Cette publication en deux volumes du géant de la pensée mondiale est un événement. Ce philosophe allemand qui a beaucoup écrit sur l’Europe y apporte une réflexion essentielle sur la société contemporaine.

Quel est le livre que vous vous êtes promis de lire ?
Il y en a tellement. Tous les étés j’essaie de plonger dans les classiques et j’aimerais tant pouvoir lire toute « La Comédie humaine » de Balzac.

Une brève de librairie :
Je suis toujours très ému quand après avoir conseillé un livre, les gens reviennent pour me dire simplement à quel point ils l’ont aimé. Qu’ils se donnent cette peine me bouleverse et c’est alors que je ressens profondément que j’ai rempli ma mission de « passeur ».
 
Le Roi Lire
4 rue Florian
92330 Sceaux
01 43 50 20 60







La lison, une librairie à toute vapeur


« Enthousiaste et familiale », c’est ainsi que Fantine Gros et Alix Mutte,  deux cousines libraires définissent l’esprit de la librairie généraliste qu’elles ont ouverte ensemble en 2015 près de la gare Saint-Sauveur à Lille. Elles l’ont baptisée  « La Lison » en hommage à la célèbre locomotive  de « la bête humaine » d’Émile Zola, mais aussi pour le double sens lié à la lecture. Elle ont décliné ce joli nom dans leur identité visuelle avec notamment la devanture en forme de tunnel que l’on remarque de loin. Pour elles deux, rien de plus important que le conseil et faire voyager les lecteurs sur les rails de l’imaginaire qu’offrent les livres. Ici personne n’est mis de côté. Elles ont eu la très bonne idée de proposer pour les 0 à un an des lectures par une conteuse très douée pour les bouts de choux, mais aussi de traduire des rencontres en langue des signes pour que les malentendants. Embarquement immédiat dans leur merveilleuse librairie-locomotive.

Quel roman nous recommandez-vous ?
« Une longue impatience » de Gaëlle Josse (Noir sur Blanc/Notabilia). Nous suivons cet auteur depuis longtemps. Elle écrit des livres courts et puissants. Là elle nous raconte au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, en Bretagne,  l’histoire d’une mère qui attend son fils de 16 ans disparu en mer après une dispute avec son beau père.  Un texte déchirant sur un amour filial hanté par l’attente, c’est une tragédie splendide.


Et du côté des auteurs étrangers, que nous conseillez-vous ?
« Écoute la ville tomber » de Kate Tempest (Rivages). Cette rappeuse d’à peine trente ans qui a derrière elle une œuvre poétique dense, décrit dans ce premier roman la jeunesse londonienne désenchantée qui tente coûte que coûte de préserver ses rêves et ses  désirs. On découvre les sets de Londres où les personnages attachants plongent dans les abîmes de l’alcool et des drogues pour faire vivre leurs flammes. Sans être déprimant, ce livre sans concession délivre un message universel sur les liens d’amitié et les idéaux que l’on poursuit. 

Y a-t-il un premier roman que vous avez  particulièrement remarqué ?
« Tristan » de Clarence Boulay (Sabine Wespieser Editeur). L’histoire d’Ida qui va se rend par curiosité dans une île volcanique, perdue et mystérieuse dans l’Atlantique sud : Tristan Da Cunha. Alors qu’elle attend que son compagnon la retrouve,  un cargo échoué pollue le rivage. Elle  rejoint l’équipe de sauveteurs de manchots mazoutés et rencontre un pêcheur marié avec lequel elle va nouer une relation amoureuse impossible. 

Quel est le livre le plus emblématique de la librairie que vous défendez avec ferveur ?
« Le cœur des femmes » de Martin Winckler  (Folio). C’est notre ouvrage  fétiche que nous conseillons et vendons tout le temps. Ce traité de gynécologie sur les femmes d’aujourd’hui offre une réflexion sur la pratique médicale de l’intime.  C’est un roman tout simplement magnifique porté par plusieurs voix  qui ne peut que toucher les lecteurs, qu’ils soient hommes ou femmes.

Une brève de librairie :
Tout le monde pense que l’une d’entre nous s’appelle Lison. Nous avons fait des badges et chaque petite Lison qui vient dans la librairie repart fièrement avec son prénom épinglé au vêtement.

Sinon à l’ouverture, nous avons entendu une mère dire à son fils « C’est courageux d’ouvrir une librairie  à notre époque». Elle désignait l’enseigne  à son fils comme si c’était un dinosaure. Nous avons trouvé ça triste d’imaginer que pour des gens un tel projet puisse ne pas marcher. Et c’est totalement faux, il y en a beaucoup aujourd’hui qui ouvrent avec succès et il faut que cette information circule pour dépoussiérer l’image austère liée à notre activité. 

La Lison 
8 Place Jeanne d’Arc
59000 Lille
09 83 99 70 32